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Eux

Elle, c’est l’élection législative marocaine du 7 octobre. Eux, c’est un tout collectif, massif, conséquent, constitué de cinq millions d’individus, appelés communément MRE, et qui pèse quelques milliards de dirhams l’an. La relation entre elle et Eux est un paradoxe, une équation rendue insoluble en dépit du bon sens.

Premier terme de l’équation : inclusion

Depuis une décennie, le Maroc est rentré résolument, sereinement dans un processus de réconciliation (IER), de réformes économiques, sociales et sociétales ambitieuses et structurantes. Son modèle cultuel et sa stabilité sont cités en exemple. Son engagement pour la préservation d’une planète mise à mal par la bêtise humaine et le déchainement des éléments naturels est louable et actuel (COP22).Sa politique migratoire, empreinte d’humanisme et de volontarisme, n’a rien de commun avec celle en vogue aujourd’hui en Europe, aux relents populistes et extrémistes, marquée par la haine de l’Etranger et la peur de l’immigré.

Cette posture est à l’honneur du Maroc. Son choix de l’élection, de la réforme et de la démocratie, participe à sa singularité, contribue à la formation de son image et détermine sa place dans le concert des Nations ouvertes sur le monde et fidèles à ses racines. Le Souverain Chérifien a voulu et conduit cette mutation. Il a façonné cette image d’un pays stable résolument tourné vers la modernité. Souverain éclairé et clairvoyant, Il accorde aux Marocains du Monde un rôle de premier choix dans la bataille, éminemment stratégique et décisive, de conservation de ces acquis et de promotion de cette image.

Dès novembre 2005, SM. Le Roi a tracé les grandes lignes d’une politique juste et perspicace avec pour finalité l’intégration, par le haut (Parlement), de cette frange MRE, indissociable du peuple marocain, dans le processus politique et institutionnel du pays. Ses discours sont autant de preuves de la sollicitude et la considération qu’Il leur témoigne. Le texte constitutionnel de 2011 a traduit en principes explicites cette volonté de considérer les Marocains du Monde comme des citoyens « normaux », électeurs et éligibles. Ce qui est de bon aloi. Car, en effet, une « diaspora » politiquement forte, exerçant effectivement ses droits civiques, volontairement engagée dans les chantiers du développement économique et humain de son pays d’origine est une chance et un atout. A l’inverse, une « diaspora » hostile, contestataire, est un facteur de déstabilisation et source de menaces. Toute l’histoire du phénomène diasporique confirme cette règle et la science politique contemporaine montre (Etudes des diasporas Cubaine, Arménienne, juive, libanaise, asiatique) toute l’importance de l’implication d’une diaspora dans l’essor de son pays et l’impact de son action en sa faveur au niveau des relations internationales (lobbying, diplomatie culturelle et parallèle).

La Communauté MRE appartient indéniablement à cette catégorie de « diaspora » attachée à ses racines et sincèrement fidèle à son pays, prompte à défendre ses causes et ses intérêts stratégiques. Elle a rempli honorablement, depuis un demi-siècle, ces rôles et ces fonctions sociales et économiques contre vents et marée et n’a jamais failli à son devoir national.

Deuxième terme de l’équation : exclusion

Le bon sens et la bonne gouvernance, sans parler de l’éthique et de la morale, voudraient donc que les MRE soient considérés et respectés à leur juste valeur, et l’intelligence politique privilégierait plutôt une conduite inclusive qu’exclusive à leur égard. Mais, c’est le contraire qui s’est malheureusement produit.

Le discours politique est devenu, à force de tourner en rond, répétitif et peu crédible. Alors que les MRE sont en attente d’initiatives et de mesures concrètes ils n’ont enregistré que des promesses sans lendemain. Où sont les Centres Culturels promis depuis des décades ? Quand est-il des affaires de spoliations des biens MRE ? Et le renforcement « des capacités » des associations MRE ? Et les droits des « Chibanis » MRE ?

En matière d’exercice des droits civiques, c’est le déni qui a pris le dessus. Les MRE se trouvent de fait aujourd’hui dans la position des « dindons de la farce ». Ils ont acquis des droits politiques constitutionnalisés en 2011, mais ils n’en ont pas l’exercice. Le texte constitutionnel les considère comme des citoyens majeurs alors que les écuries politiques, sans distinction aucune, continuent à les classer dans la catégorie des « incapables » ou des « mineurs » en incapacité juridiquement et politiquement de décider et d’agir par eux-mêmes.

L’expérience parlementaire de 1984-1992 (quatrième législature) est certes désastreuse. Mais, l’échec incombe surtout et en premier lieu à ceux (députés) qui ont failli à leur devoir et choisi la voie de la compromission politique et du nomadisme partisan au détriment de ceux qu’ils étaient censés représenter (les MRE).

Mais, depuis 1992 qu’a-t-on entrepris pour remédier à cette situation incroyablement injuste de non-représentation des MRE dans les institutions nationales ?

Quelles sont les raisons de fond qui sont derrière leur exclusion de la participation aux élections législatives des 1992, 1997, 2002, 2007, 2011 et 2016 ?

Que sont devenus les projets déposés, pour réparer cette injustice, auprès des formations politiques ou par certaines d’entre elles sous formes de propositions de lois ?

Qui a intérêt à saborder les projets visant à accorder aux MRE une représentation institutionnelle digne et effective dans les instances de bonne gouvernance annoncées par la Constitution de 2011 ?

En somme : Jusqu’à quand cette injustice va-t-elle perdurer ?

En tout état de cause, la décision d’exclure les MRE de l’élection législative du 7 octobre consacre, de la plus triste et la plus mauvaise manière qui soit, cette stratégie dangereuse d’exclusion du champ politique menée à leur égard. En faisant déborder tous les vases, cette décision est le prélude d’une relation compliquée. Prions pour qu’il en soit autrement au lendemain du 7 octobre !

C’est acté. L’élection se fera sans Eux, mais pas l’avenir du Maroc.

Dr Mohammed MRAIZIKA

(Chercheur en Sciences Sociales, Consultant en Ingénierie Culturelle, CIIRI-Paris)