Sommet Afrique-France : « L’aide n’a jamais vraiment fait le développement » Lors du Sommet Afrique-France à Montpellier, le président français Emmanuel Macron a débattu avec onze jeunes originaires de différents pays africains issus de la société civile. 

Entretien.

L’Agence Française de Développement, une institution d’un autre temps ?

Les participants au Sommet Afrique-France semblaient d’accord pour dire que cette institution financière était la grande perdante de ce sommet. Antoine Glaser, journaliste et écrivain remet en perspective les différents rôles de l’AFD dans la relation entre la France et l’Afrique. 

Lors du Sommet Afrique-France qui s’est tenu à Montpellier vendredi 8 octobre, les participants ont pointé du doigt l’Agence Française de Développement (AFD), jugée trop vétuste, voire représentative d’une certaine forme de néocolonialisme. Est-ce que cette aide au développement a toujours une raison d’être à l’heure actuelle ? Le journaliste et écrivain français Antoine Glaser, co-auteur du livre « Le Piège Africain de Macron » avec Pascal Airault (Fayard, avril 2021) estime que l’AFD a encore de beaux jours devant elle, au vu de son champ d'action.

TV5 MONDE : Quels enseignements peut-on tirer de ce sommet sur les relations économiques entre l’Afrique et la France ? 

Antoine Glaser : Finalement, c’était un sommet très politique. Sur le plan économique, on ne peut pas dire qu’il y ait eu des dossiers ou des débats. On voit bien que c’est surtout un Sommet de diplomatie, d’influence française en particulier auprès des jeunes générations. Maintenant que l’Afrique s’est totalement mondialisée, c’est vrai que la France est un peu en perdition sur le plan économique, y compris dans son « pré carré », ce qui est normal. 

On voit bien que ce sommet était très politique, et sur le plan économique, ce que reprochent les jeunes à la France en général c’est de dire « finalement vous maintenez nos autocrates parce que vous êtes en train de perdre vos parts de marchés sur le plan économique ». 

Et le Sommet n’a pas tellement évoqué ça directement, mais indirectement, les jeunes reprochant à Emmanuel Macron que la France est, en dehors de sa présence militaire, qui sert un peu de cache-misère à une présence française globalement en déshérence, « un peu en perdition » et soutient des pouvoirs en place pour ses intérêts économiques.  

TV5 MONDE : L’AFD apparaît comme étant la grande perdante de ce sommet. L’outil est-il inefficace ? A-t-il une connotation trop néocoloniale ? 

Antoine Glaser : Pendant des années il y avait quand même des représentants du conseil des investisseurs en Afrique ou du Medef Afrique, soit des représentants du business français au sein du conseil d’administration de l’AFD. 

C’est vraiment le bras armé financier de la France en Afrique. 

Antoine Glaser, journaliste et écrivain

Même s’il n’y a plus de représentants du patronat français dans le conseil d’administration de l’AFD, elle est devenue multisecteurs et représente plus qu’un ministère de la coopération maintenant. Même dans les dons qu’elle effectue, l’AFD peut affirmer ne pas soutenir les entreprises françaises, mais elle a tellement de structures et agit dans tellement de domaines qu’elle peut jouer pour soutenir le business français. C’est vraiment le bras armé financier de la France en Afrique. 

TV5 MONDE : Est-ce que cette palette d’action est devenue trop grande ? 

Antoine Glaser : Le grand risque pour l’AFD, c’est vraiment le mélange des genres. Pour garder sa légitimité auprès de différents pays et institutions, elle joue un peu sur tous les tableaux. C’est une banque qui est très politique et ils sont devenus vraiment omnipotents. 

Qu’est-ce que l’Agence Française de Développement ? 

Fondée en 1941, cette institution financière publique a pour vocation d’accompagner des projets visant à améliorer les conditions de vie à travers le monde. Elle agit dans 115 pays différents mais aussi dans les territoires d’outre-mer français dans différents domaines : éducation, biodiversité, santé… L’Agence agit à la fois dans le domaine public et dans le privé, avec sa filiale Propaco. 

D’ailleurs, ça n’a pas été suffisamment remarqué mais toutes les décisions de projets, même les plus vertueux du Sommet de Montpellier, le back office réel de financement, ce sera l’AFD. Donc ils ont un poids décisionnel très important. Même si c’est Achille Mbembé qui est à la tête de la direction de la « Maison des mondes africains et des diasporas », il devra rendre des comptes à l’AFD. 

TV5 MONDE : Lors du Sommet Afrique-France, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité de transformer ou de renommer l’AFD. Vaut-il mieux parler de coopération plutôt que d’aide au développement ? 

Antoine Glaser : Bien évidemment que la France tire des bénéfices de son aide au développement, même s’ils ne sont pas directement financiers. C’est certain que les jeunes en ont marre de la condescendance, dans le sens où la main qui reçoit est toujours en dessous de la main qui donne. 

L’aide n’a jamais réellement fait le développement. Ce qui fait le développement, c’est quand les gens ont les capacités de se prendre eux-mêmes en main et n’ont pas besoin d’avoir le développement de l’extérieur. Parfois même, l’aide au développement empêche le développement. Emmanuel Macron dit « on va changer ça, on va appeler ça investissement solidaire » ou quelque chose comme ça, mais honnêtement ça ne va pas changer fondamentalement l’affaire. Si les Africains refusent cette aide,  à ce moment-là c’est aussi à eux de prendre en main leur économie et il faut qu’il y ait du répondant. 

TV5 MONDE : L’AFD est-elle amenée à disparaître ? 

Antoine Glaser : Non seulement l’AFD ne va pas disparaître, mais l’AFD encore une fois est omniscient et omnipotent et tend à remplacer le ministère de la coopération. On a l’impression qu’il n’y a plus de tutelle politique sur l’Agence française de développement, et elle devient une banque politique. C’est déjà et ça va rester l’outil politico-financier de la France en Afrique. Parce qu’ils ont récupéré tout ce qui était dans les orbites, ils sont dans tous les secteurs. 

Publié : afrique.tv5monde.com/ Par Daniel Cole / AP/ 10 octobre 2021