Durant cinq mois, tout un pays a été soumis, contre son gré, à un scénario politico-tragique dont rien ne semblait pouvoir arrêter l’emballement et limiter les effets néfastes sur les intérêts supérieurs de la Nation. L’entêtement et l’indécision des uns ont rendu l’obstruction et la rancœur des autres radicales et préjudiciable au fonctionnement du système institutionnel. Il fallait donc un miracle, une force, une puissance hors pair, pour mettre fin à ce scénario. Et ce qui devait arriver arriva le 17 mars et l’espoir naquit de nouveau.
Epilogue d’une situation ubuesque
La désignation de Saad Eddine El Othmani, par SM le Roi, en qualité de nouveau chef du gouvernement, est véritablement une décision salutaire. En faisant sien le respect de la Loi suprême du pays (article 47 de la constitution), en privilégiant l’intérêt supérieur de la Nation, la décision royale a mis un terme à une situation ubuesque. Dans l’absolu, cette désignation augure d’un bon présage, car tout laisse à penser que cet homme de dialogue, humble et décidé, est réellement en capacité (politique, morale et éthique) de sortir la question de la formation du gouvernement de l’ornière dans laquelle elle s’est embourbée dès le soir du 7 octobre 2016.
Certes, l’expérience, la connaissance des ficelles et des règles, déclarées ou inavouées, du jeu politique national, sont des atouts nécessaires pour naviguer dans de telles circonstances. Mais ils ne sont pas suffisants. Il y a une psychologie et une dignité humaine à respecter et des subtilités politiques à aménager pour que les esprits s’apaisent et les interlocuteurs crédibles se rassurent et s’engagent. L’art de gouverner, n’en déplaise à Machiavel (1469 -1527), n’est pas un art « qui vise à tromper par le mensonge » ou celui de gérer les affaires par la force et la ruse. Dans une société démocratique, c’est l’art de concilier, de rapprocher les points de vue, de respecter la loi et les hommes, de faire triompher l’intérêt général sur l’intérêt individuel ou partisan. Tous ceux qui ont ignoré cette vérité ou n’ont pas su se hisser à ce niveau de conscience et de responsabilité, ont connu des échecs cuisants.
Dans les circonstances actuelles et au regard des défis qu’il doit relever, le Maroc ne peut tolérer de tels écarts et de telles lacunes de la part de ses élites politiques. De même, il ne peut et ne doit accepter que des intérêts exclusivement partisans prennent le dessus sur l’intérêt national. Il ne peut et ne doit tolérer qu’un individu, quel que soit son rang, ou une officine partisane, quel que soit le nombre des sièges qu’elle a obtenus, jouent avec les nerfs, les intérêts et le destin de tout un peuple.
C’est vrai. Le Maroc a relevé admirablement le défi de l’organisation d’une manifestation internationale de la dimension de la COP22. Il a réussi, grâce à une diplomatie intelligente, une volonté et une dynamique royales, à terrasser les complots ourdis contre ses causes majeures. Son retour à l’UA s’est fait dans la dignité et son partenariat économique avec les pays frères africains répond à toutes les exigences d’un développement économique harmonieux profitable à tous et d’une solidarité Sud-Sud sincère.
Est-il utile de rappeler ici que tous ces acquis stratégiques, diplomatiques et économiques ont été réalisés au cours de ces cinq derniers mois alors que les écuries politiques étaient en hibernation, obnubilées par des calculs subalternes sur fond de chamailleries inconvenantes.
La mission confiée par le Souverain au docteur El Othmani est, à ne pas en douter, difficile. Sa marge de manœuvre est étroite. Les caciques de son propre parti sont à l’affût des moindres faux pas de sa part. Pire, certains d’entre eux tentent déjà, par frustration ou par calcul politique, de semer le trouble chez les partenaires politiques susceptibles d’accepter son offre de participation à son gouvernement. Ce comportement n’est pas seulement indigne, il est risqué.
Les MRE, confiants mais vigilants
La mission de M. El Othman n’est pas en effet aisée, tant les sensibilités politiques sont à fleur de peau et la méfiance à son comble. Cette méfiance, les Marocains résidant à l’extérieur du pays la partagent. Ils la partagent parce qu’ils ont été abusés et trahis par le gouvernement sortant. Aucune des promesses qui leur ont été faites n’est aujourd’hui effective. Leurs droits civiques les plus élémentaires sont reniés. L’offre culturelle et sociale qui leur est proposée est indigente. La protection juridique nécessaire à la préservation de leurs investissements et à la protection de leurs biens au Maroc est à son niveau le plus bas. Leurs « Chibanis » souffrent d’un mal atroce appelé « inconsidération » et leurs jeunes s’interrogent sur le sens à donner à leurs relations actuelles et à venir avec la mère-patrie.
Par conséquent, le docteur Saad EddineEl Othmani ne peut et ne doit laisser les choses en l’état. Les MRE attendent beaucoup de sa gouvernance. Mais, pas de chèque en blanc. Ils seront attentifs aux décisions et initiatives qu’il voudra bien prendre à leur adresse.
Serait-il donc l’homme de la situation pour sortir le dossier de la représentation politique et institutionnelle des MRE, de la négligence et des labyrinthes des commissions parlementaires ?
Serait-il en capacité d’effacer à jamais cette mentalité absurde qui fait de l’exclusion des MRE du champ de la citoyenneté et de la participation politique, un projet politique en soi ?
Accordera-t-il l’intérêt nécessaire à leurs doléances sociales et à leurs attentes culturelles et cultuelles ?
Que décidera son gouvernement pour contrer les sentiments et les actes racistes et xénophobes qui prolifèrent en Europe et touchent parfois d’une manière ciblée les marocains (notamment aux Pays Bas) ?
Serait-il prêt à aider à l’émergence d’une véritable force « diasporique marocaine», organisée, influente, capable d’agir avec l’expertise et la compétence requises pour promouvoir ses propres intérêts, défendre les causes sacrées de son pays et de relier utilement ses messages et ses projets?
Le docteur El’Othmani, par sa formation et sa culture, n’ignore pas ce que veut dire l’inconscient psychique (et son influence sur le comportement, le jugement et « les raisons réelles de choix ou décisions ») chez Carl Gustav Jung, Freud, ou Lacan. Mais c’est William Shakespeare qui aura le dernier mot : « Quand une situation est au pire, il faut qu’elle cesse ou qu'elle se relève... » (Macbeth, 1605).
Dr. Mohammed MRAIZIKA
Docteur en Histoire (EHESS-Paris)
Diplômé de Philosophie Morale et Politique (Sorbonne IV)
Consultant en Ingénierie Culturelle. Conférencier. Auteur, CIIRI-Paris
Le 23 mars 2017