espace-associatif-5La société civile marocaine connait depuis vingt ans un développement significatif, tant du point de vue du cadre légal - en voie d’assouplissement - que du strict point de vue numérique, avec l’enregistrement de plus de 38 000 associations1.

Par une approche participative inédite, le programme de recherche «Indice de la société civile» créé par l’ONG internationale CIVICUS2 et piloté sur le terrain marocain par l’Espace Associatif3, s’est appliqué à mettre en relief les principaux indicateurs sur l’état de santé de la société civile marocaine. Le travail d’enquête, réalisé en 2010 et mené sur un échantillon de 1297 personnes de la population nationale et 211 organisations de la société civile réparties sur l’ensemble du territoire, a donné lieu à la publication d’un rapport national mettant en relief la singularité de la situation marocaine4. D’emblée, le rapport soulève deux éléments représentatifs du contexte marocain et qui jettent une lumière crue sur l’environnement social global (niveau d’éducation globale et conditions de vie) dans lequel opère la société civile5: le niveau excessivement élevé d’analphabétisme, et les écarts importants de richesse.

La population enquêtée est analphabète à 41,5%, et 6% seulement ont un diplôme universitaire. Quant aux écarts de richesse, 40% de la population enquêtée vit avec moins de 3000 DH par mois et 13% vivent avec plus de 5000 DH.Paradoxe s’il en est, mais néanmoins révélateur de la difficulté à définir la société civile et son rôle, l’activité de plaidoyer n’est globalement pas perçue comme un aspect fondamental du travail associatif, alors que par ailleurs une grande importance est accordée à la défense des droits dans les préoccupations de la population. Il semblerait donc que tout ce qui touche de près ou de loin à la politique est immédiatement frappé de discrédit par l’opinion publique.

L’activisme social est à la fois mis en valeur et discrédité ou ignoré dès lors qu’il tente de franchir la frontière qui sépare la charité du plaidoyer politique. Tout se passe donc comme si les attentes des citoyens marocains à l’égard de la société civile se limitaient à un secteur associatif apolitique et non-partisan, capable cependant de construire du lien social, de contribuer au développement et de conduire de véritables politiques de changement.

En outre, si le bénévolat actif demeure un pilier fonctionnel de la société civile, il révèle en retour une faiblesse organisationnelle : le manque de professionnels salariés. Au Maroc, le constat repose sur un évident manque de moyen financier (50% des associations ne reçoivent aucune aide de l’Etat), ce qui engendre une carence du personnel qualifié, se répercutant sur les problèmes de gestion (déséquilibre budgétaire important du secteur associatif) et de gouvernance.

Autre problème soulevé par les enquêtes : l’implication de l’Etat marocain qui, par quelques discrets mais néanmoins efficaces effets de manches, parvient à contrôler la dynamique propre à la société civile et à lui soustraire une partie de son autonomie. Ainsi en est-il du cadre légal qui, bien qu’en voie d’assouplissement depuis vingt ans, n’empêche guère l’arbitraire politique et administratif de s’appliquer dans les faits, quand il n’est pas tout simplement question d’opacité notamment en matière de dispositifs d’utilité et de générosité publique. Corruption, favoritisme, clientélisme sont parties prenantes du jeu de pouvoir y compris dans la société civile (parfois coiffée à tort d’une auréole de pureté). Des maux qui, sans congédier pour autant la force contraignante des textes de loi, savent très bien négocier avec les défaillances et les angles morts du système.

Au final, la société civile n’est-elle vouée à exister réellement que dans le registre du plaidoyer pour appuyer les changements politiques ou peut-elle organiser le bien commun d’une manière autonome et «apolitique» sans risque d’instrumentalisation de la part des réels détenteurs des pouvoirs souverains ?

Sans répondre complètement à cette question, le rapport insiste en revanche sur un fait : la société civile n’est pas vouée à répondre à des questions de service public au niveau national, ni outillée pour prendre en charge des prestations de service de cet acabit. La meilleure option relevée restant la promotion des activités de plaidoyer pour la défense des droits, afin de se faire le porte-voix des citoyens, et surtout des exigences citoyennes.

Par : Michel Peraldi en Juillet 2012