Dans la présente contribution-réflexion citoyenne au débat public pour l'action, notre point de départ est constitué par la tenue à Rabat, le 17 janvier 2019, au siège du ministère marocain de l'Intérieur, d'une réunion de l'Observatoire National de la Migration.

L'O.N.M, bien qu'assurant une mission complémentaire, est une entité totalement indépendante et distincte de la Direction des migrations et de la surveillance des frontières et dépend directement du ministre de l'Intérieur, en vertu du décret n°2.04.751 (signé par le Premier ministre Driss Jettou), en date du 27 décembre 2004, portant création de l'O.N.M.

Initiative à avantages multiples
Cette initiative prise par l'ONM nous interpelle intellectuellement comme chercheur en migration et en tant que citoyen. Elle a en premier lieu, le mérite de nous inciter à fournir un certain nombre de précisions, de clarifications, de propositions concrètes d'actions dans le domaine migratoire, de mise en évidence du contexte politique marocain, en liaison notamment avec la réflexion nationale sur le renouvellement du modèle de développement du Maroc.
Elle a en second lieu, l'avantage de pousser à la prise en compte de l'environnement africain et géostratégique international du Maroc, en liaison notamment avec le futur Observatoire Africain des Migrations (O.A.M) qui sera mis en place à Rabat sous l'égide de l'Union Africaine, comme concrétisation d'une des propositions phares de l'Agenda Africain sur les Migrations, soumis par Sa Majesté Mohammed VI, Roi du Maroc, Leader sur la Question de la Migration, à la 30ème session ordinaire de la Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union Africaine, tenue à Addis Abeba, fin janvier 2018.
Tout comme cette initiative a la vertu de nous pousser à aller de l'avant avec des éléments d'alternative ; à séparer le bon grain de l'ivraie ; et à lever le brouillard politique et informatif instauré par d'aucuns.
Par délégation du ministre de l'Intérieur (Abdelouafi Laftit) pour sa préparation sur tous les plans et son déroulé, cette réunion du 17 janvier 2019 a été présidée par le Wali directeur de l'immigration et de la surveillance des frontières, avec à ses côtés à la tribune, le secrétaire général du ministère chargé des Marocains résidant à l'étranger et des affaires de la migration (avant la nomination de celui-ci le 18 février 2019 en tant que gouverneur de la province de Sidi Kacem) et un représentant d'un autre département.

En tant qu'analyste et observateur actif et assidu de la scène migratoire marocaine, engagé pleinement de longue date de manière citoyenne dans la défense et la promotion des droits multidimensionnels des citoyens marocains résidant à l'étranger et ceux des immigrés au Maroc, cette réunion qui avait officiellement pour objectif de « faire le point sur les évolutions de la question migratoire au Maroc durant l'année 2018 », a été pour nous la bienvenue. Elle fut sans conteste une véritable première, une agréable surprise et une bonne initiative, un moment important et un marqueur temporel, compte tenu de la très longue période d'hibernation ou plutôt de coma cérébral profond dans lequel l'Observatoire national de la migration était systématiquement plongé.
Les responsables (par délégation) de l'Observatoire national de la migration, se sont-ils enfin rendus compte de l'existence d'une faille flagrante dans l'application du statut relatif à l'Observatoire et surtout du hiatus et déphasage flagrant et incompréhensible avec l'évolution très rapide du dossier migratoire à l'échelle nationale et en liaison avec sa situation au niveau continental africain et international ? Ceci, compte tenu en particulier des responsabilités du Maroc, au plus haut niveau de l'Etat, concernant le dossier migratoire au sein de l'Union Africaine et de la tenue à Marrakech en décembre 2018, de deux événements d'importance planétaire, liés aux migrations internationales (11ème Forum Mondial Migration Développement et Conférence intergouvernementale pour l'adoption du Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière), en signe de reconnaissance par la communauté internationale, des efforts louables entrepris par le Maroc dans le cadre de sa Nouvelle Politique Migratoire, impulsée de manière souveraine en septembre 2013 par le Roi Mohammed VI.

Clarifications
Dans le cadre d'une démarche critique constructive, un certain nombre de précisions et de clarifications s'imposent d'ores et déjà.
En procédant à la (re)naissance de la structure, en l'(a) (ré)activant et en l'(a)(ré)animant, la rencontre du 17 janvier 2019 ne constitue pas comme ceci a été déclaré à divers médias ou écrit, « la réunion annuelle de l'ONM qui a fait le point sur les évolutions qu'a connu la question migratoire au Maroc en 2018», « la réunion régulière pour 2018 » d'un observatoire en exercice, voir même en plein exercice (qui suppose au moins une réunion similaire chaque année auparavant, si ce n'est quatre selon les statuts) et signifiant par-là, que les statuts régissant l'institution ont été scrupuleusement et minutieusement respectés dans le cadre d'une gouvernance normale et performante, d'une bonne régulation et d'une parfaite transparence.
En réalité, il s'agit d'un observatoire sans exercice, qui n'a pas « repris ses activités » ou « redémarré son action » pour la simple raison qu'il n'avait jamais démarré auparavant, n'ayant pas été à la manœuvre, n'ayant pas été constitué ou organisé. Etant restée au point mort en tant qu'observatoire mort-né, l'institution n'a pas fait partie des priorités des divers gouvernements concernés, n'ayant eu ni son local, ni organigramme, ni programme annuel (ou pluriannuel) de travail, ni responsable quelconque ou « chargé de l'ONM ».
La réunion ne s'est pas faite en effet sous sa forme statutaire normale depuis la création de l'observatoire il y'a une quinzaine d'années de cela, pratiquement au même moment que celle de la direction de la migration et de la surveillance des frontières (DMSF), l'officialisation des deux nouvelles entités au sein du ministère de l'Intérieur, ayant été faite par un même décret d'application.
Mais par rapport à l'action, pour sortir de l'immobilisme et aller de l'avant avec des perpectives ouvertes sur l'avenir, on est toujours en tant que chercheur et citoyen, préoccupé par le présent et surtout par le futur. De ce fait, on ne privilégie ni le discours nihiliste ou négativiste, ni le discours désespérant. Tant qu'il y'a une lueur d'espoir, un brin d'espérance, on s'accroche aux potentialités de réformes, aussi minimes soient-elles, offrant des possibilités de changement et de dynamisation de l'action sur des bases objectives.

 

Une approche mesurée
Cependant, au niveau de notre démarche d'analyse dans ce livre, on pourra recourir à l'oubli s'agissant de certains aspects non fondamentaux, mais on ne peut pratiquer l'amnésie par rapport à des éléments essentiels, centraux et signifiants. Surtout qu'à la même occasion, certains responsables font tout et recourent à des artifices et subterfuges pour enjoliver le passé, l'instrumentaliser et tenter de s'en sortir à bon compte, en essayant de montrer qu'ils ont assumé toutes leurs responsabilités et ce, au moment où tout responsable a l'obligation de résultat et de reddition des comptes, comme le prévoit la Constitution en vigueur.
Dans ce cas et sans procéder systématiquement et à priori à un procès du passé, un droit d'inventaire objectif est incontournable pour d'une part capitaliser les acquis et d'autre part rectifier les erreurs commises et corriger les dysfonctionnements constatés. Il faut contribuer à reconstituer l'histoire telle qu'elle s'est passée dans la réalité. Une (re)lecture du passé est alors indispensable pour fournir les clarifications qui s'imposent pour une interprétation objective et sereine des faits.
Partant de ce qui précède, les réflexions qui suivent seront déclinées avec un faisceau d'éléments à invoquer, des remarques à avancer sur les atouts, les défauts, les manquements et déficiences et des suggestions concrètes à formuler pour l'avenir, l'analyse et la démonstration étant basées sur l'argumentaire, la rigueur des constats, la prise en compte des faits tangibles et des données objectives, le tout avec le plein respect des personnes concernées.

Deux préoccupations centrales et quatre volets
Deux préoccupations centrales, liées entre elles, structurent cette contribution citoyenne à un débat d'idées pour l'action :
- Pour un Observatoire National des Migrations à la hauteur des ambitions du Maroc relatives à l'Agenda et à l'Observatoire Africain(s) des Migrations. Où en sommes- nous ? Observer qui et quoi et pourquoi ?
- Quels place et rôle de la migration internationale (Marocains résidant à l'étranger, émigration du Maroc vers l'étranger et immigrés au Maroc) dans le nouveau modèle de développement du Maroc ?
Immigr-BG1Ces deux interrogations fondamentales seront traitées à travers quatre volets :
1- Rétrospective relative à l'Observatoire National de la Migration (ONM), à son environnement juridique, institutionnel, politique et géostratégique. Il s'agit de procéder à un voyage dans le temps et à travers la géographie régionale.
2- Initiative louable de la réunion du 17 janvier 2019, mais nécessaire ouverture à assurer sans exclusive aux chercheurs en migration et à élargir aux Marocains résidant à l'étranger(MRE), qui constituent l'autre grand volet du dossier migratoire marocain.
3- Quid du dossier de ceux qui sont désignés par « Marocains du Monde » et de l'émigration africaine extra-continentale ? Les MRE entre l'Observatoire National de la Migration, l'Observatoire de la communauté marocaine résidant à l'étranger (OCMRE, relevant de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger) d'une part et le futur Observatoire Africain des Migrations (OAM, issu de l'Agenda Africain sur les Migrations) dépendant de l'Union Africaine d'autre part. Quelle place et statut accorder au dossier des citoyens marocains établis à l'étranger dans un véritable observatoire national marocain sur la migration dans ses deux volets, et au dossier des Africains émigrés hors du continent africain, dans l'Observatoire Africain des Migrations en cours de mise en place dans le cadre de l'UA ?
4- Propositions pour l'avenir. Quelles sont les actions à mener par le Maroc, visant à saisir les opportunités et à relever les défis liés à la migration dans ses divers volets ? L'interpellation est liée d'abord à la prise en main par l'Union Africaine (UA) du dossier migratoire africain sous le leadership du Roi Mohammed VI, en tant que Leader de l'UA sur la Question Migratoire.
Elle est liée ensuite à l'opportunité au niveau interne, de la réflexion nationale en cours pour le renouveau du modèle de développement du Maroc. L'occasion est à saisir pour s'interroger sur la place de la question migratoire au Maroc (dans ses divers volets : MRE, émigrés du Maroc vers l'étranger et immigrés au Maroc), l'apport et la contribution des migrants dans le cadre de ce nouveau modèle, en identifiant les éléments de continuité et les éléments de nécessaire rupture et de changement de mentalité, en spécifiant notamment les leviers de réforme proposés, en particulier la nécessaire élaboration et opérationnalisation d'une réelle stratégie nationale globale, cohérente et intégrée en matière de Marocains résidant à l'étranger qui fait toujours défaut, malgré la publication sur le site officiel du département chargé notamment des MRE, d'une « stratégie nationale » en la matière.


En étroite liaison avec tout ce qui précède, nous reproduirons en annexe pour appropriation par un plus large public, l'intégralité du texte de l'Agenda Africain sur la Migration qui sera sollicité à divers moments dans notre analyse. Dû à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, ce document a été soumis par le Souverain au 30ème Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de l'UA, tenu à Addis Abeba les 28 et 29 janvier 2018 qui l'a adopté à l'unanimité, constituant un apport majeur du Royaume du Maroc à l'Union Africaine.

Rabat, le 15 juillet 2019
Source : Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat, chercheur en migration